08/02/2012
Le fusil de chasse de Yashushi Inoué
Je viens de relire avec grand plaisir, ce récit découvert il y a quelques années. Cette nouvelle d’une cinquantaine de pages est magnifique. Elle s’articule autour de cinq personnages. Le narrateur rapporte une anecdote qui va lui permettre de prendre connaissance d’événements très intimes de la vie d’un homme qu’il n’a qu’entraperçu et qu’il ne connaitra jamais. Cet homme va lui faire parvenir trois lettres de femmes différentes qui vont relater les mêmes événements mais vus par leurs propres prismes.
La première lettre est écrite par une jeune fille qui va prendre connaissance de ces fameux événements à travers le journal de sa mère. Elle va les interpréter à sa façon. C’est une vision un peu naïve, liée à sa jeunesse et à la perte d’illusions. Il y est question de couleurs, de tristesse, de perte… J’ai noté cette très jolie image : « Ma langue est paralysée par le chagrin, par un chagrin qui ne concerne pas seulement Mère, ou vous, ou moi, mais qui embrasse toute chose : le ciel bleu au dessus de moi, le ciel d’octobre, l’écorce sombre des myrtes, les tiges de bambou balancées par le vent, même l’eau, les pierres et la terre. Tout ce qui dans la nature frappe mon regard se colore de tristesse quand j’essaie de parler. Depuis le jours où j’ai lu le journal de Mère, j’ai remarqué que la nature changeait de couleur plusieurs fois par jour, et qu’elle en change soudainement, comme à l’instant où le soleil disparait, caché par les nuages…. En plus des trente couleurs au moins que contient une boite de peinture, il en existe une, qui est propre à la tristesse et que l’œil humain peut fort bien percevoir. »
La seconde lettre est celle de la femme de cet homme. C’est une lettre où elle lui demande le divorce, où elle lui raconte qu’elle a découvert son infidélité très tôt et que c’est ce qui l’a amené au bord de la folie et à le tromper très régulièrement. Elle règle ses comptes dans tous les sens du terme. Il y a de la dureté, de la douceur, un mélange très particulier de naïveté et de trivialité.
La dernière lettre est celle de la femme aimée (la mère de la première femme) qui raconte sa version des faits. On l’y découvre une femme à la veille de sa mort qui va essayer de faire connaitre sa véritable personnalité à son amant de toujours. Il y est beaucoup questions du passé mais très peu de regrets contrairement à ce que pouvaient laisser croire les deux premières lettres. Et dans tous les cas pas les regrets auxquels auraient pu faire penser le journal.
On ne saura jamais ce qui s’est passé dans la tête de l’homme qui est le personnage de ces lettres… Si ce n’est à travers le poème du narrateur. Et j’avoue que je trouve cela très fort.
C’est très bien écrit. C’est une écriture fluide, simple et forte à la fois. Je dirai presque qu’il y a un certain suspens. Le livre que j’ai contient 4 autres nouvelles / romans et j’ai hâte de les lire mais je vais prendre le temps de les déguster.
Comme d’habitude la première phrase : « Un jour, il m’arriva de donner au Compagnon du chasseur (cette modeste revue publiée par la Société des chasseurs du Japon) un poème intitulé Le fusil de chasse. »
21:18 Publié dans Coup de coeur, Littérature Japonaise, Livres, Top Ten | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.